220 Logements

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Retour aux 220 logements

Mai 2021

« Blanc, tu es revenu ! » crie Mr K., reconverti en tapissier, pour nous aider à coller 4 photographies sur l’une des façades des 220 logements. Une forme d’hommage aux habitants du quartier, 6 mois après mon dernier séjour ici. 

Déguerpissement des commerçants non-enregistrés auprès de la municipalité d’Adjamé. Rond-Point Liberté. Avril 2021 © Camille Millerand

Déguerpissement des commerçants non-enregistrés auprès de la municipalité d’Adjamé. Rond-Point Liberté. Avril 2021 © Camille Millerand

“Z”, chauffeur de woro-woro récupère le Djê (l’argent en Nouchi) auprès de ses clients qu’il va déposer au Plateau. Mai 2021 © Camille Millerand

“Z”, chauffeur de woro-woro récupère le Djê (l’argent en Nouchi) auprès de ses clients qu’il va déposer au Plateau. Mai 2021 © Camille Millerand

Awa continue d’y tenir sa boutique de mouchoirs Lotus, d’eau fraîche et de lessive Omo. « Z » conduit toujours son woro-woro (taxi collectif), d’Adjamé jusqu’au Plateau.

14H00.Cour du bâtiment F des 220 logements. Mai 2021 © Camille Millerand

14H00.Cour du bâtiment F des 220 logements. Mai 2021 © Camille Millerand

Chaque jour, à 10 heures puis 13 heures, Maman “Loto » joue ses numéros fétiches à la loterie nationale. « Sap-Sap » et « Traoré » balaient et désherbent, quotidiennement les allées du quartier tandis que Chaka et ses confrères garagistes réparent, à ciel ouvert.

Maman “Loto”. Mai 2021 © Camille Millerand

Maman “Loto”. Mai 2021 © Camille Millerand

Boutique de Franck, designer d’enseignes commerciales et tee-shirt. Mai 2021 © Camille Millerand

Boutique de Franck, designer d’enseignes commerciales et tee-shirt. Mai 2021 © Camille Millerand

Kiosque à café d’Ousmane. Mai 2021 © Camille Millerand

Kiosque à café d’Ousmane. Mai 2021 © Camille Millerand

« Le quartier vit au ralenti, nous sommes en carême » me précise Idriss, gérant du pressing. Devenu Imam depuis peu, il prie pour que « le délestage » s’arrête véritablement. Ici comme dans d’autres communes d’Abidjan, le courant est régulièrement coupé pendant plusieurs heures. Les ventilateurs du bâtiment F sont au chômage forcé.

Cécilia et Salma et leur affaire de lunettes (en haut à gauche) , Isaac le coiffeur (en haut à droite), Sap-sap le jardinier (en bas à gauche) et Chaka le garagiste (en bas à droite). Mai 2021 © Camille Millerand

Cécilia et Salma et leur affaire de lunettes (en haut à gauche) , Isaac le coiffeur (en haut à droite), Sap-sap le jardinier (en bas à gauche) et Chaka le garagiste (en bas à droite). Mai 2021 © Camille Millerand

Des blanchisseuses, somnolent à l’ombre d’un courant d’air, le temps que leur linge sêche. Il faut attendre les environs de 18H20 et la rupture du jeûne, pour que la cité s’anime de nouveau. A la nuit tombée, plusieurs marmites à beignets tournent à plein régime dont celle de la maman d’Idriss.  

18H20.Cour du bâtiment F des 220 logements. Mai 2021 © Camille Millerand

18H20.Cour du bâtiment F des 220 logements. Mai 2021 © Camille Millerand

Mr Cissé, Muezzin du quartier, lance l’appel à la prière du vendredi. Mai 2021 © Camille Millerand

Mr Cissé, Muezzin du quartier, lance l’appel à la prière du vendredi. Mai 2021 © Camille Millerand

Boutique d’aladj. Mai 2021 © Camille Millerand

Boutique d’aladj. Mai 2021 © Camille Millerand

Rupture du jeûne. Au menu: beignets, Gnomi au lait et Kinkeliba. Mai 2021.

Rupture du jeûne. Au menu: beignets, Gnomi au lait et Kinkeliba. Mai 2021.

 La boutique d’Aladji est prise d’assaut par les enfants qui viennent acheter des boissons fraîches pour leurs aînés. Devant la maison d’Awa, avec Moussa, Jahbless de Londres et Couz’, on partage du Kinkeliba, des gnomi au lait (beignets de mil) et les nouvelles du jour.  

Diffusion, chez le voisin, de la demi-finale de ligue des champions. Mai 2021 © Camille Millerand

Diffusion, chez le voisin, de la demi-finale de ligue des champions. Mai 2021 © Camille Millerand

A quelques mètres de là, les fans de Chelsea et du Real Madrid s’agglutinent devant la fenêtre d’un voisin du rez-de-chaussée qui donne sur sa télé. Le match de ligue des champions va bientôt commencer.

Funérailles organisées en hommage à un habitant du quartier. Il était agent de sécurité. Mai 2021 © Camille Millerand

Funérailles organisées en hommage à un habitant du quartier. Il était agent de sécurité. Mai 2021 © Camille Millerand

Au 5ème étage du bâtiment F, les neveux de Clay, se détendent devant une série guinéenne à l’eau de rose. D’autres révisent leurs examens du lendemain. Le prochain repas aura lieu vers 4h30 du matin.

 
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Vu des 220 logements, rien ne s’est passé

Novembre 2020.

À Abidjan, quand on parle des 220 logements, ce nom fait référence aux premiers grands ensembles de type moderne de la Côte d’Ivoire. Quartier emblématique de la commune d’Adjamé, il est situé entre le pont d’Agban, le « quartier Marie Thérèse » appelé communément « quartier  Voyou », le pont de Washington (du côté de la commune chic de Cocody) et un camp de sapeurs-pompiers.

« Au départ, au début des années 60, ce n’était qu’un seul bâtiment rectangulaire avec son jardin intérieur qui représentait les 220 logements. Il était réservé aux gens de l’administration, de la fonction publique, ceux qui avaient « le blé »» m’explique Clay, mon ami depuis 10 ans et habitant des 220.

Aujourd’hui, le quartier a vu pousser de nombreux immeubles, répartis tout autour de la cité originelle. Il s’est ouvert à la classe populaire ivoirienne. Aux 220 logements, il existe plusieurs sous-quartiers dont les 300 logements, les 136 logements, le général, le Mistral, les manivelles, le quartier Jean Delafosse, les 80 logements, les tours… À cela s’ajoute une cité universitaire, le commissariat du 7ème arrondissement, un centre social, une école primaire et un lycée...

À 50 m du commissariat et à 10 mètres de la pharmacie « La Providence », Aboubacar sert des cafés serrés dès 6 heures du matin. Son kiosque se transforme souvent en lieu de débat avant d’aller au travail. On peut y croiser « Z », un chauffeur de woro-woro (taxi collectif) jusqu’au Plateau ou «Chambala», Assistant-comptable en formation dans la fonction publique. Devant son kiosque, ceux qui n’ont pas de job tentent leurs chances à Lonaci (La Loterie Nationale de Côte d’Ivoire), un genre de loto local.

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De l’autre côté du goudron, Salif vend ses journaux à qui veut bien dépenser quelques « jetons » (pièce des monnaies FCFA). Pendant mon récent séjour à Abidjan, j’ai passé plusieurs jours sur son stand. Salif a perdu un client,  partisan de Laurent Gbagbo, un « GOR » (Gbagbo ou rien) comme on les nomme à Abidjan, qui lui a demandé de chasser « le blanc ». Mais Salif en a décidé autrement : c’est son client qui a tourné ses talonnettes de fonctionnaire retraité.

Au 5ème étage d’un des immeubles du « quartier Jean Delafosse », Mamery et Junior phosphorent sur leurs cours de sciences éco et de droit. Dehors, c’est la saison des pluies. Quelques fuites d’eau au plafond rythment ce moment de révision. Les jeunes étudiants alternent avec quelques parties de Fifa 2016, pendant qu’Issouf, leur aîné, s’impatiente de s’envoler pour le Canada pour poursuivre ses études.

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À la fenêtre de leur cuisine, on aperçoit Awa. Elle vend des paquets de mouchoirs lotus, des sachets d’eau glacés et quelques beignets au lait concentré. Depuis sa boutique, on assiste aux allées et venues quotidiennes de Mr K., un toxicomane chevronné, à la recherche de quelques pièces pour financer sa dose qu’il crackera dans un fumoir caché derrière le pont de Washington. Avant de sombrer, « l’ancien » tenait une petite boutique dans le secteur, semblable à celles qui jonchent aujourd’hui, les trottoirs des « 220 » : Franky le couturier, Le pressing d’Agbolo, le salon de coiffure de Bagnon (« mignon » en Bété), Soum Services informatique, Léonard du « poulet braisé ». Tous tiennent leur rôle social avec soin, avec comme objectif commun: récolter quelques deniers dans ce pays aux taux de croissance situé entre 7 et  8% du PIB.

Durant la crise de 2011, le quartier des 220 Logements fut un lieu stratégique défendu jusqu’aux dernières heures de la guerre par une milice pro-Gbagbo (le Groupement Patriotique pour la Paix) avant d’être libéré par les F.R.C.I. (Forces républicaines de Côte d'Ivoire). En Octobre 2020, 9 ans plus tard, hormis quelques affiches A3 du président Ouattara, un meeting pour les femmes du R.H.D.P. (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) et une soirée musicale pour célébrer la fin de la campagne, rien ne s’est passé durant les 12 derniers jours avant et 4 jours après le scrutin présidentiel ivoirien.


Images des 220 logements réalisées en 2013. ©Millerand